Les chasseurs de temps 1
Un
petit retour en celtitude avec une légende (en deux parties)
rapportée par Jean Markale dans lun de ses ouvrages « Contes et
légendes des pays celtes »
A
cette époque, dans le comté de Fife, il y avait un jeune seigneur du
nom de Kenneth. Courageux, élégant et plein de finesse, il avait su
conquérir l'estime de tous par sa noble conduite et sa grande
bienveillance envers les pauvres. Il était tombé amoureux de la belle
Rionna, une orpheline de bonne famille qui résidait en son château de
Glendevon, juste au dessous des Ochil. Celle-ci l'aimait passionnément
et ne pensait qu'au jour où tous deux pourraient enfin se marier.
La date du mariage fut fixée et la veille du mariage il s'en alla
visiter sa fiancée à Glendevon pour lui annoncer la nouvelle. La joie
envahit le coeur de la jeune fille et elle avoua que, depuis des
semaines, elle se tenait prête. Kenneth lui dit qu'il reviendrait la
chercher le lendemain matin pour l'emmener à Kinross où devait avoir
lieu la cérémonie, au milieu d'une belle compagnie de jeunes seigneurs
et de belles dames qui leur témoigneraient leur grande amitié.
La
nuit commençait à s'épaissir et Kenneth ne pouvait se résoudre à
quitter Riona. Mais il avait encore du chemin à faire pour regagner son
propre logis. Il se décida enfin à partir, s'arrachant avec peine aux
bras de Riona, et il monta sur son cheval qui piaffait
d'impatience.Riona se tenait à la fenêtre, au dessus de la porte de son
manoir. Elle se pencha pour profiter encore de la présence de celui
qu'elle aimait.
-Doux ami
dit-elle, il est temps pour toi de partir, mais je ne suis pas triste,
car je sais que, demain matin, tu serras là à la première heure. je
guetterai ton arrivée à cette même fenêtre.
-Sur ma foi, répondit le jeune homme, je serrai là dès les premières lueurs du jour, sois-en certaine.
-Oui
je t'attendrai avec impatience, mon cher seigneur. Et s'il le fallait,
je demeurerai à cette place pour te guetter jusqu'à ce que mes cheveux
bruns qui te plaisent tant soient devenus crinière d'argent.
A cette évocation, le jeune homme éclata de rire.
-Belle amie! s'écria-t-il, point n'est besoin d'attendre si longtemps! nos amis seront prêts et nous ne pouvons les décevoir!
Sur ce, après un dernier signe de la main, le jeune homme éperonna son
cheval, et celui-ci bondit, galopant dans la nuit qui devenait
maintenant très dense. Kenneth connaissait Fort bien le chemin, car il
l'avait parcouru bien souvent de jour comme de nuit. Mais il lui
fallait chevaucher jusqu'à la minuit passée pour regagner son logis où
il ne pourrait se reposer que fort peu de temps s'il voulait être
fidèle à sa promesse. Cela ne l'inquiétait pas outre mesure,
d'ailleurs, car son bonheur était tel qu'il se sentait capable de
supporter toutes les fatigues pour l'amour de Riona.La lune n'était pas
encore levée, mais la nuit était douce et une brise légère caressait le
visage du jeune homme, toute parfumée des senteurs qu'exhalaient les
nouvelles fleurs du printemps. Il chantait une vielle chanson du temps
jadis, et son cheval bondissait allègrement sur le chemin, sautant par
dessus les les taillis et les ruisseaux, quittant un vallon pour
s'engager sur le flanc d'une colline et traversant un bois pour
pénétrer dans une plaine.Il venait de quitter un bois sombre quant il
entendit soudain, non loin de là, une éclatante fanfare de vénerie.
Quelque peu surpris, il fit arrêter son cheval. Qui pouvait bien
chasser ainsi à pareille heure dans une obscurité des plus complète? Il
ne put résister au désir de savoir qu'elle était cette chasse et de la
suivre, ne serait-ce qu'un certain temps. Ainsi n'aurait-il nul besoin
de rentrer chez lui: il reviendrait directement à Glendevon pour
retrouver sa fiancée.
A vive allure, il se dirigea vers l'endroit
d'où provenait le son des trompes. bientôt, devant lui, la forêt
s'illumina d'une lueur extraordinaire qui semblait venir du fond de la
terre, comme si le reflet rougeoyant d'un foyer intérieur embrassait
les sous-bois. Et, en approchant davantage, il aperçut, derrière les
troncs des chênes, au milieu d'une vaste clairière, tout un équipage de
chasse, dont les participants étaient vêtus de grands manteaux noirs.
Celui qui paraissait leur chef était un vieux gentilhomme fort
maigre, recouvert d'un manteau semblable. Dès qu'il vit Kenneth, il lui
fit, du bout de sa cravache, un signe d'accueil très cordial bien que
quelque peu protecteur. Ce gentilhomme montait, sans selle ni
carapaçon, un superbe cheval tartare, d'un noir immaculé, dont les
muscles frémissaient sous l'étrange lumière qui éclairait la clairière.
Autour de lui, il y avait des valets de chiens qui retenaient avec
effort une meute dont l'impatience était manifeste.
Fin de la première partie