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Le perroquet bleu - Rêve ta vie
7 avril 2007

Les lèvres de Driss Chraïbi

levresabeil

« Chaque fois que je l’ai pu, j’ai étudié les lèvres d’une femme. J’en possède une mnémonique, somnifère et source de divertissement. Mais jusqu’à ce soir, la jalousie maritale voile le vissage des femmes et je ne m’intéresse pas aux petites filles, que je sache…ma mère mea culpa ! La collection n’était que de lèvres européennes. Ainsi…
J’ai vu des commissures basses d’abrutissement, avachie de sensualité. J’ai vu des plis de chagrin, d’ironie et de férocité. J’ai vu des lèvres sans rides, unies, pleines, impersonnelles, mais révélant leurs secrets parce que fardées du rose à l’écarlate, du sec au gras, du trait à la fleur, épaissies, amincies, dessinées avec art, barbouillées en hâte, lèvres de vielle fille malgré l’alliance au doigt, lèvres étonnantes de jeunesse en plein milieu d’un parchemin, lèvres sarcastiques, bonnes à tout faire, même à dire la vérité, lèvres vénales, ignobles de bestialité et de calomnie, serrées sur une énigme ou sur une souffrance, crispées par un dépit, par une envie, par un cancer, tordues par un hépatisme ou dans un sourire fermé, commercial, circonstanciel, bas, entrouvertes sur des dents blanches, pourries, égales, inégales, sur un dentier, sur un jeu de touches de piano, sur une mixture d’or, de plomb, de platine et d’ivoire, ou tout simplement sur des gencives sans dents ; j’ai vu des lèvres toujours ouvertes, respirant à la place des narines un mélange d’oxygène et d’azote, de coquetterie et de cupidité, d’étonnement et de passivité, de sourire et d’ennui, d’apathie et d’espoir.
Lèvres antipathiques, lèvres sympathique, lèvres qui nous laissent indifférents, lèvres gonflées de vie et qui nous laissent indifférents, lèvres gonflées de vie et qui nous donnent envie de les mordre pour les punir, provocantes, insensibles à nos murmures et à nos morsures ; lèvres inexpérimentées, sans fard ou avec fard, si belles même irrégulières, si douce même inharmoniques, si charmeresses qu’un baiser les souillerait et sur lesquelles flotte un songe et passe notre caresse aussi lisse que leur velouté ; lèvres de vieilles, d’adolescentes, de concierges, de vendeuses, de putains et d’épouses moyennes, toutes retiennent mon attention et j’en connais plusieurs impossibles à oublier. Ce sont des lèvres d’Européennes, de Françaises, voire de Parisiennes. Elles ont droit à la crème de la civilisation. Des lèvres d’hommes qui s’y posent baisent l’apogée de l’industrie scientifique fine. »

Un extrait du bouquin de Driss Chraïbi ‘ Le passé simple’

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Commentaires
H
Bonjour, <br /> j'atteris sur votre site par rebond depuis celui de Mohammed Kitab. J'aime beaucoup ce texte, et la photo qui est jointe. Si vous le permettez je vais faire un petit tour dans vos mots.<br /> <br /> A bientôt<br /> <br /> Marie-Laetitia
E
J'aurais pleuré sa mort .J'aurais aussi temoigné <br /> de choses qui ont fait de cet homme un grand écrivain...Je dirais tout simplement , Si Driss Chraîbi est mort, ses livres sont là....!<br /> <br /> Mohamed El jerroudi
L
je me demande dans quel genre sont mes lèvres :-)
M
A propos de la disparition de Driss Chraibi, je t'invite à lire sur le blog d'Amel (http://portesurletoit.canalblog.com/)un entretien qu'il a eu avec Abdellatif Laâbi en 1967.
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